Sous-titre : Une étude de Wood & Spekkens (2015) révèle que tenter d'appliquer notre logique "cause à effet" au monde quantique nous force à accepter des coïncidences impossibles, appelées "ajustements fins".
Le Paradoxe : Action fantomatique vs Absence de signal
Nous connaissons tous la tension centrale de la mécanique quantique. D'un côté, nous avons l'intrication : deux particules, séparées par des galaxies, partagent un lien si fort que mesurer l'une révèle instantanément l'état de l'autre. De l'autre, nous avons le principe de Non-Signalisation (No-Signaling) : nous ne pouvons pas utiliser ce lien pour envoyer un message plus vite que la lumière.
Une réaction courante — et c'est peut-être votre point de vue — consiste à dire : "Puisqu'aucune information n'est échangée, il n'y a pas de violation de la causalité. Si c'est juste une corrélation instantanée sans communication, où est le problème ?"
Selon l'article "The lesson of causal discovery algorithms for quantum correlations" de Christopher J. Wood et Robert W. Spekkens, la réponse est : si, il y a un problème majeur. Mais pour le voir, il faut analyser la situation avec les outils de l'Intelligence Artificielle.
Le Test : L'IA à la recherche de la cause
Les auteurs ont utilisé des Algorithmes de Découverte Causale — les mêmes outils logiques utilisés par les statisticiens pour déterminer si un médicament cause une guérison ou si le tabac cause le cancer — et les ont appliqués aux données quantiques.
Ces algorithmes reposent sur un principe scientifique fondamental : le refus du "Fine-Tuning" (ou Ajustement Fin). C'est l'idée que la nature ne repose pas sur des accidents miraculeux. Si deux événements sont corrélés, il doit y avoir une raison robuste. S'ils sont indépendants, il doit y avoir une raison structurelle.
Or, quand ces algorithmes analysent l'intrication, ils "plantent". Ils concluent que toute explication causale standard est impossible, à moins d'accepter que l'univers soit le fruit d'une conspiration mathématique.
Le cœur du problème : L'Ajustement Fin (Fine-Tuning)
Pour comprendre l'article, il faut définir ce concept clé.
L'Ajustement Fin est l'équivalent causal d'une conspiration. Imaginez qu'Alice possède un émetteur radio relié par un fil à un récepteur chez Bob.
Si Alice parle, Bob devrait l'entendre (Causalité).
Si Bob n'entend rien (Pas de signal), alors que le fil est physiquement branché (Intrication), comment l'expliquer ?
Pour sauver ce modèle, vous seriez obligé d'affirmer qu'il existe un mécanisme de brouillage précis, réglé exactement sur la même fréquence et la même amplitude que la voix d'Alice, pour annuler le signal parfaitement et le ramener à zéro. Ce n'est pas une loi naturelle, c'est un réglage suspect des paramètres pour masquer la réalité.
L'échec des échappatoires classiques
Les physiciens ont proposé plusieurs modèles pour expliquer l'intrication. Wood et Spekkens montrent que tous ces modèles souffrent de ce problème d'ajustement fin :
La Causalité Supraluminique (Vitesse > Lumière) :
L'idée : L'événement A influence l'événement B instantanément, violant la limite de vitesse de la lumière.
Le verdict de l'algorithme : Si une flèche causale va plus vite que la lumière, pourquoi ne peut-on pas téléphoner avec ? Le modèle exige que l'univers ait un "bouton de volume" tourné exactement sur zéro pour nous cacher cette influence supraluminique. C'est un ajustement fin.
Le Superdéterminisme :
L'idée : Le libre arbitre n'existe pas. Une cause commune dans le passé lointain a déterminé à la fois l'état des particules et le choix de mesure qu'Alice et Bob font aujourd'hui.
Le verdict : Cela implique que lorsque vous lancez une pièce pour choisir un réglage, le résultat de ce lancer était pré-corrélé avec la particule il y a des milliards d'années. Pour que cela fonctionne à chaque fois sans faille, les conditions initiales de l'univers doivent être "truquées" avec une précision infinie.
La Rétrocausalité :
L'idée : Le futur affecte le passé. Mesurer la particule aujourd'hui envoie une influence vers le passé, au moment où les particules ont été créées.
Le verdict : Pour éviter les paradoxes temporels (comme tuer son propre grand-père) et maintenir l'apparence d'un temps qui ne coule que vers l'avant, les boucles causales doivent s'équilibrer parfaitement. Encore un ajustement fin.
Conclusion : "Instantané mais sans communication" ne suffit pas
Cela nous ramène à votre question initiale : "Est-ce qu'une communication instantanée au sens de l'intrication résout le problème de causalité ?"
L'article conclut que non.
Du point de vue rigoureux de la modélisation causale :
Si vous avez une Non-Localité (connexion instantanée), la logique dicte qu'un canal causal existe.
Si ce canal existe mais ne permet aucune communication (Pas de signal), alors le modèle est "infidèle" (unfaithful). L'algorithme voit une influence qui est mystérieusement rendue invisible par un réglage précis des paramètres.
Ce qu'il faut retenir :
L'article ne dit pas que la physique est fausse, mais que notre définition de la "cause" (le principe de Reichenbach) est inadaptée. On ne peut pas simplement dire "c'est instantané mais ce n'est pas de la communication" et s'arrêter là. Pour un algorithme causal, c'est une contradiction qui nécessite un ajustement fin.
Nous n'avons pas seulement besoin d'une nouvelle physique, nous avons besoin de Modèles Causaux Quantiques, une nouvelle façon de penser où la causalité ne suit plus les règles classiques des flèches et des boîtes.
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