lundi 3 novembre 2025

Cartographier l'Incalculable : Une Physique au-delà des Algorithmes

Trouver une autre théorie aussi développée que la Relativité d'Échelle et qui s'aligne de manière aussi directe avec les arguments de l'article de Faizal et al. est un véritable défi. La raison principale est que la plupart des théories en physique fondamentale, même les plus spéculatives, aspirent implicitement à être "calculables" ou algorithmiques.

Il existe cependant un autre candidat majeur. Bien que son approche soit radicalement différente, il aboutit à des conclusions philosophiques similaires sur la nature non-algorithmique de la réalité. Il s'agit de l'ensemble des travaux de Roger Penrose, notamment son concept de Réduction Objective (Orch-OR) et ses recherches sur la théorie des twisteurs et les réseaux de spin.

Comparons ces deux visions du monde.

Roger Penrose et la Physique Non-Calculable

Depuis des décennies, Penrose est l'un des rares physiciens de premier plan à soutenir explicitement que la physique fondamentale doit contenir une composante non-calculable. D'ailleurs, ses arguments sont cités dans l'article même de Faizal et al.

L'Argument Central : Le Théorème de Gödel et la Conscience

Le point de départ de Penrose est le théorème d'incomplétude de Gödel. Il affirme que les mathématiciens humains peuvent saisir la vérité d'énoncés mathématiques (comme l'énoncé de Gödel lui-même) qu'aucun système formel algorithmique ne peut prouver. Il en conclut que la conscience humaine elle-même doit être non-algorithmique. Il postule alors que cette capacité doit provenir d'un processus physique dans le cerveau qui est, lui aussi, non-calculable.

La Source de la Non-Calculabilité : La Gravité Quantique et la Réduction de la Fonction d'Onde

Pour trouver la source physique de cette non-calculabilité, Penrose se concentre sur le problème de la mesure en mécanique quantique. L'évolution d'un système quantique est parfaitement déterministe et calculable (via l'équation de Schrödinger) tant qu'il n'est pas mesuré. C'est l'acte de mesure, la "réduction de la fonction d'onde", qui est probabiliste et mal compris.

Penrose propose une solution audacieuse : la Réduction Objective (OR). Il suggère que cette réduction n'est pas un effet de la mesure, mais un phénomène physique réel et objectif, déclenché par la gravité. Lorsqu'une superposition quantique atteint un certain seuil de masse ou crée une courbure d'espace-temps suffisamment significative, elle s'effondre spontanément.

De manière cruciale, Penrose spécule que ce processus de Réduction Objective n'est pas algorithmique. Il ne s'agit pas simplement de lancer un dé probabiliste. Il s'agirait d'un processus physique fondamental qui opère d'une manière qui transcende le calcul de Turing. C'est précisément ici que le "prédicat de vérité" évoqué par Faizal pourrait trouver sa manifestation physique.

Le Cadre Mathématique : Réseaux de Spin et Cosmologie Conforme Cyclique

Penrose utilise plusieurs outils mathématiques avancés. Les réseaux de spin, qu'il a co-développés et qui sont également au cœur de la Gravité Quantique à Boucles, décrivent l'espace-temps comme un réseau discret de relations quantiques. Bien que souvent traités de manière algorithmique, Penrose suggère que leur dynamique globale et l'émergence d'un espace-temps lisse pourraient impliquer une complexité non-calculable.

De plus, sa théorie cosmologique, la Cosmologie Conforme Cyclique (CCC), postule une succession infinie d'univers, ou "éons". La transition d'un univers ancien, froid et vide au Big Bang d'un nouvel univers implique une transformation mathématique qui pourrait "effacer" l'information et introduire une composante fondamentalement non-calculable dans les fondations de la physique.

Une Vision Comparative : Penrose contre Nottale

Bien que la Relativité d'Échelle de Nottale et les théories de Penrose soient très différentes, elles partagent un alignement philosophique profond avec les conclusions de Faizal et al.

Nottale situe la non-calculabilité dans la structure statique de l'espace-temps lui-même — sa texture intrinsèquement fractale et non-dérivable. Pour lui, la complexité infinie est une propriété géométrique de l'arène où se joue la physique.

Penrose, en revanche, trouve la non-calculabilité dans la dynamique fondamentale de la physique — spécifiquement, dans l'acte physique de la réduction de la fonction d'onde. Pour lui, la réalité n'est pas seulement une structure complexe, mais implique également un processus actif et non-algorithmique.

Ces deux approches, malgré leurs origines et mécanismes distincts, convergent vers la même conclusion radicale : les lois ultimes de l'univers ne sont pas un simple algorithme que nous pourrions un jour programmer dans un ordinateur. Elles contiennent une forme de complexité ou un type de processus qui transcende fondamentalement le calcul.

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