Depuis près d'un siècle, l'histoire officielle — connue sous le nom d'Interprétation de Copenhague — nous enjoint de ne pas nous soucier de la signification de tout cela. Le mot d'ordre est simple : acceptez le mystère, utilisez les équations (elles fonctionnent à la perfection !) et cessez de réclamer une image de ce qui se passe réellement.
Mais s'il existait une image ? Et si la « magie » n'était qu'un malentendu ? Et si une théorie, proposée aux premières heures de la mécanique quantique, détenait déjà la clé d'une vision de la réalité rationnelle, intuitive et complète ?
Voici l'histoire de la théorie de De Broglie-Bohm (dBB), aussi appelée théorie de l'Onde Pilote. Elle ne se contente pas de proposer une autre interprétation de la mécanique quantique ; elle valide les questions que l'on nous avait interdites de poser.
Le Problème : Un livre de cuisine sans chef
La mécanique quantique standard ressemble à un livre de recettes infaillible. Elle vous donne une liste d'ingrédients (la fonction d'onde) et des instructions (l'équation de Schrödinger) pour prédire le résultat de n'importe quelle expérience avec une précision stupéfiante. Si vous voulez calculer la probabilité qu'un électron atterrisse ici ou là, ce livre est parfait.
Mais il refuse obstinément de vous dire ce que sont les ingrédients ou pourquoi la recette fonctionne. Il traite la fonction d'onde — cet objet mathématique central — comme un simple outil de calcul de probabilités, ni plus ni moins.
Lorsqu'un électron dans l'expérience des fentes de Young crée une figure d'interférence comme s'il avait traversé les deux fentes à la fois, l'approche standard hausse les épaules : « C'est ce qui arrive quand on ne regarde pas. » Mais dès que vous regardez, l'onde s'effondre « magiquement » en un point unique. Pour expliquer le monde, la mécanique quantique orthodoxe s'appuie sur des paradoxes, des processus mal définis (le fameux « effondrement ») et des corrélations mystérieuses qui défient le principe de causalité.
La Solution Élégante : Transformer la magie en mécanisme
Dans les années 1920, Louis de Broglie (suivi par David Bohm dans les années 1950) a proposé une alternative d'une simplicité époustouflante. Ils ont posé cette question : Et si nous prenions le livre de recettes au sérieux ?
Et si la fonction d'onde n'était pas juste un outil mathématique pour deviner des résultats ? Et si elle représentait une caractéristique réelle et objective de la réalité ?
C'est là que réside le génie de la théorie dBB. Elle postule que le monde quantique est toujours constitué de deux éléments :
Des particules réelles qui ont des positions définies à tout moment.
Une « onde pilote » réelle (la fonction d'onde) qui guide le mouvement de ces particules.
Soudain, l'étrangeté se dissipe. Dans l'expérience des fentes de Young, l'électron est une particule réelle qui ne traverse qu'une seule fente. Cependant, son onde pilote, elle, traverse les deux. L'onde interfère avec elle-même, créant un paysage complexe de creux et de bosses qui dirige la trajectoire de la particule.
Imaginez un surfeur : la particule est le surfeur (un objet solide), mais son mouvement est dicté par les ondulations de l'eau. Plus de paradoxe. Plus de magie. Juste une particule guidée par une onde.
Embrasser le « Fantôme » : L'Univers Holistique
Cette théorie a cependant une conséquence radicale. Pour que l'onde pilote puisse guider correctement les particules en fonction de la configuration du système, l'onde doit être non-locale. Une modification de l'onde dans une partie de l'univers doit affecter instantanément la structure du champ guide, même à des années-lumière de distance.
Pendant des décennies, les physiciens ont vu cela comme un défaut fatal. Puis sont arrivés les travaux cruciaux de John Bell dans les années 1960, suivis par les expériences révolutionnaires d'Alain Aspect dans les années 1980.
Voici le coup de théâtre : Bell et Aspect n'ont pas prouvé qu'Einstein avait tort sur le réalisme ; ils ont prouvé que la réalité est non-locale.
Ils ont démontré que toute théorie conforme aux données — y compris la mécanique quantique standard — doit incorporer des connexions instantanées. Le choix n'a jamais été entre une théorie locale et une théorie non-locale. Le choix est entre une théorie où la non-localité est une corrélation magique inexpliquée (MQ standard) et une théorie où elle est un mécanisme causal fondamental (dBB).
La théorie de De Broglie-Bohm rend simplement cette caractéristique explicite. Elle présente un univers fonctionnant selon un principe holistique profond, distinct mais rappelant le Principe de Mach. Dans cette vision, le comportement de toute particule unique est inséparable de l'état du tout. L'univers n'est pas une collection d'objets isolés ; c'est un organisme unique, interconnecté par l'onde pilote universelle.
Pourquoi est-ce important aujourd'hui ?
Ce n'est pas qu'un vieux débat philosophique poussiéreux. Les concepts de trajectoires, pionniers chez de Broglie et Bohm, partagent des racines mathématiques profondes avec les intégrales de chemin de Richard Feynman. Aujourd'hui, ces idées aident les chercheurs à visualiser le transport quantique et à concevoir des simulations chimiques complexes.
La théorie dBB offre un cadre causal, déterministe et sans paradoxe. Elle nous met au défi de voir la fonction d'onde non pas comme un calculateur abstrait de probabilités, mais comme le tissu même de la réalité — un champ physique qui connecte et guide tout ce qui s'y trouve.
La question n'est donc pas de savoir si la mécanique quantique est bizarre. La question est de savoir si nous préférons une théorie qui présente le monde comme irréductiblement magique, ou une théorie qui ose offrir une explication rationnelle, concrète et profondément interconnectée du cosmos.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire